Pour poser la première pierre d'un changement de vie, encore faut-il voir qu'il y a une pierre à côté de nous, attendant d'être vue et utilisée.
Un changement de vie peut prendre plusieurs années et passe par de nombreuses étapes. Je vois les choses pour ma part comme un goutte à goutte qui remplit un bac dans un mécanisme à bascule : chaque jour apporte une nouvelle goutte, et de temps en temps, le mécanisme se déclenche et fait basculer l'eau. Puis le bac se remplit à nouveau, et au bout d'un moment il y a un nouveau basculement, etc.
J'ai connu l'un de ces basculements en 2016, à la naissance de mon second enfant. Je me sentais bien dans mon travail de l'époque parce que je m'y retrouvais comme en famille, j'appréciais de travailler avec des amis. Mais sur le fonds cela commençait à ronronner un peu trop, j'avais envie de découvrir autre chose, et surtout je sentais que j'avais besoin de sens, d'oeuvrer pour quelque chose de plus grand que moi, de me sentir utile. Je suis alors partie vers la RSE, avec l'idée d'aider à la transformation des entreprises vers plus d'engagement sociétal et environnemental.
Je m'y suis plût quelques temps, et puis je me suis rendue compte que je n'avais pas seulement l'envie d'être utile, mais aussi de faire les choses à ma manière, d'avoir plus de temps pour organiser ma vie pro et perso, de me sentir bien au quotidien plutôt que stressée... et un nouveau basculement m'a permis de partir de l'entreprise pour me mettre à mon compte.
Mais avant de parvenir à tirer profit de ces moments, encore faut-il entendre le son de la dernière goutte, qui devrait entrainer le basculement du mécanisme... et cela n'est pas si évident car même si nous l'entendons, notre cerveau va avoir tendance à essayer de limiter notre réaction à un périmètre connu : en poussant à l'action immédiate ("qu'est-ce que je peux améliorer là, tout de suite, qui me permettra de croire que la situation est réglée?"), en rationnalisant ("l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, donc autant se résoudre à ce que la situation ne soit pas parfaite"), en procrastinant ("on verra à la fin de l'année si ça va mieux"), etc.
Le cerveau regorge de ressources pour que nous en restions finalement au stade du "statu-quo".
Pour contourner ces mécanismes, il est intéressant de se poser et de commencer à se poser quelques questions simples :
- Quels sont les signaux envoyés par mon corps?
Ai-je régulièrement des douleurs? A quelle puissance et quelle fréquence? Qu'ai-je fait pour y remédier jusque-là? Ca peut paraître évident, mais en réalité nous sommes nombreux à ne pas assez écouter notre corps, ou à ne pas en tenir compte.
En 2012, j'ai eu une année de travail très stressante : j'étais manager d'une équipe gérant une activité de flux quotidiens, et une augmentation du flux avait conduit à des retards importants. Ma réponse à ce stress avait été de me mettre en tension et de faire tout pour résoudre la situation le plus vite possible : je ne m'écoutais plus, je ne faisais plus de pauses, j'étais en permanence sur mon ordi à taper sur le clavier et à cliquer avec ma souris. Au bout de quelques semaines à ce rythme j'ai commencé à avoir des douleurs au poignet droit. Qu'ai-je fait? Je vous le donne en mille : j'ai changé de main, j'ai passé la souris sur la main gauche. Je me suis ainsi abimé le bras droit ET le bras gauche.
Résultat : je me suis retrouvée avec des tendinites au deux coudes qui m'ont fait souffrir pendant deux ans, à ne plus pouvoir porter des sacs de course ou conduire, et des maux de dos qui m'ont poursuivis pendant des années. Je me suis mise à aller régulièrement chez le kiné et l'ostéo, c'est à dire à traiter les conséquences de mon mode de réaction, sans jamais penser à regarder les causes, sans imaginer me poser, souffler, essayer un autre mode de fonctionnement et trouver de nouvelles solutions.
- Quels sont les signaux envoyés par mon mental et mes émotions?
Suis-je souvent agacée, stressée, ou de mauvaise humeur ? Ai-je régulièrement l'impression d'être en conflit avec mes valeurs ou contrainte de faire quelque chose que je n'ai pas envie de faire? Qu'ai-je fait pour y remédier jusque-là?
En général lorsqu'on se "force", lorsqu'on est en lutte quotidienne, on finit par être également fatigué : c'est aussi un très bon indicateur.
Pendant plusieurs années, j'ai eu une charge mentale très importante : le travail, les enfants, les transports, le stress, les postures et injonctions paradoxales à gérer : cela faisait trop. Mais au lieu de poser clairement un diagnostic et d'essayer de trouver des solutions, je me lancais à corps perdu dans l'action, comme si j'imaginais qu'en réagissant (en accélérant pour que les enfants soient à l'heure à l'école, en accélérant pour finir toutes les tâches attendues au travail), j'arriverai à régler la situation et que ça irait mieux. Sauf que les nouvelles tâches remplaçant les anciennes c'était bien entendu sans fin.
En agissant j'avais l'impression d'être en contrôle. Sauf qu'à tout vouloir contrôler, à ne pas être capable de lâcher prise sur quoi que ce soit, je m'épuisais, j'avais l'impression qu'on attendait trop de moi, qu'il fallait que j'assure et j'assume tout en permanence... et j'étais agaçée quasiment tout le temps. En réalité je ne me rendais pas compte que c'était mon mode réactionnel qui posait le plus problème.
Je suis convaincue que c'est notre regard sur notre situation que nous devons changer : arrêter de penser que nous allons améliorer la situation avec notre mode habituel de réaction, dans le cadre habituel, mais prendre conscience qu'il y a un changement à opérer et réussir à sortir du cadre.
Plusieurs pratiques me semblent intéressantes pour déclencher la prise de conscience :
- Favoriser la prise de recul en insérant des moments de "rien" dans notre journée : tout le monde aujourd'hui connait les bienfaits de la méditation. Mais pour ceux que cela rebute, cela peut simplement être un temps de "rien" dans la journée. Ne RIEN faire, ce qui n'est pas la même chose que de regarder Netflix ou son téléphone, ou de se reposer en réalisant une action de quelque manière que ce soit, mais bien de se poser et laisser son esprit divaguer. 2-3 minutes au début et puis pourquoi pas 5 puis 10. Juste ce temps quotidien peut déjà permettre d'amorcer une prise de recul.
- Habituer notre cerveau à sortir de sa routine, petit pas par petit pas : essayer de nouvelles choses sortant de l'ordinaire, et surtout des nouveaux modes de fonctionnement. Par exemple, si vous êtes du genre à partir au quart de tour face à une situation, essayez d'autres modes de réaction, juste pour voir ce que cela donne. C'est un peu comme muscler son cerveau à être plus souple! Et en bonus, si le test a marché, cela lui permet de voir que d'autres façons de fonctionner sont possibles et efficaces!
J'ai testé ça il y a peu de temps avec mes enfants : lorsqu'ils se disputent, je suis plutôt de ceux qui interviennent tout de suite avec autorité (et énervement) pour résoudre la situation le plus vite possible. Dernièrement je me suis astrainte à ne pas réagir immédiatement et j'ai laissé 2 minutes passer, histoire de peut-être leur permettre de régler seuls la situation. Bon... cela n'a pas suffit, j'ai donc dû intervenir. Mais là où cela est intéressant c'est qu'au lieu d'être en mode vénère comme lorsque je réagis instinctivement, j'étais calme : le fait d'avoir laissé passer quelques minutes a permis à l'adrénaline de redescendre, me permettant ensuite d'intervenir de façon plus sereine (et adéquate).
- Factualiser les choses : une dernière pratique que je trouve super intéressante, permettant de factualiser les choses et sortir de l'ordre du ressenti (qui est trop facilement contrecarré par le cerveau à travers nos mécanismes de défense habituels), consiste à tenir un calendrier tout simple de nos journées : le soir on indique sur un calendrier la teneur de notre journée. Par exemple un point vert si la journée était chouette, un point orange pour une journée lambda, un point rouge pour une journée difficile. Au bout de quelques mois voire d'une année, il sera facile de réaliser un bilan factuel de notre vie... est-elle joyeuse, morne ou difficile?
Sur ces bases, reste à voir si nous serons capable de regarder la situation en face... et poser la première pierre pour aller de l'avant.
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